On voit clairement le dos, abimé, poncé, traversé, avec quelques résidus de laque rouge...
La tête du manche en érable, bien scié sur quartier, réserve une belle surprise... le reste d'un logo Gibson, écrit au stylo-bille... Francis ne sait plus de quand ça date, mais une chose est sûr, on a tous rêvé d'avoir une Gibson dans notre jeunesse. Sa deuxième guitare était d'ailleurs une Gibson 12 cordes !
Le choix du placage de remplacment est crucial, il faut qu'il se rapproche au mieux de celui d'origine, pour la teinte et le motif...
Idem pour le dos...
Qui dit jeu d'éclisses, dit moule... j'ai donc redessiné la guitare en fusionnant les deux éclisses d'origine (asymétriques...), et en réduisant le tout de 3 millimètres, afin de pouvoir coller la table et le dos sans souci... Voici donc le moule correspondant, ainsi qu'un contre-moule, permettant le pressage des feuilles de placages lors du collage.
Là, on est dans le calcul, celui de la géométrie des éclisses. Celle-ci dépend des radius de table et de fond, j'ai donc mis au point une table de calcul pour aboutir directement à la bonne forme, on gagne du temps après...
Voici les placages d'éclisses prédécoupés...
Et le collage des différentes couches...
Après 48 heures de séchage, on démoule. j'ai aussi préparé les tasseaux de manche et de "cul", en laminé comme toujours... (pour la stabilité et pour prévenir des fentes)
L'ossature est assemblée, ajustée, prête à recevoir table et fond...
Rien de tel qu'un bon fer à repasser et un peu d'eau pour décoller une touche. Celle-ci est en niangon, un bois africain à l'odeur bien identifiable ! (pas très bonne odeur en fait !)
La touche et le manche, sans tenon, sans rien... collé directement. Ceci explique que les cordes étaient à 2 centimètres du manche à la 12ème case !
La caisse, pas de mortaise... par contre, on voit que la table est bien sciée, et épaisse, ce qui va me permettre de bien la "rectifier" !
Voici l'intérieur de la bête... épicéa classique, sur quartier. (étonnant, mais la table est d'un grade AAA, sans défaut, elle est juste brute à l'intérieur...). Le barrage quant à lui... comment dire...
J'ai extrait la rosette, pour éviter de passer à travers lors du recalibrage de la table...
Et voilà, après des gros coups de rabots pour faire sauter le barrage, un premier calibrage, une réinsertion de la rosette, et un calibrage final, on arrive à ça ! Je suis à 2,4 millimètres, et la table est encore un peu raide... je n'ose pas imaginer comment la guitare devait sonner avant !
Le placage est en train de sécher sur le fond. J'ai utilisé de la colle animale, un rouleau de tapissier, et j'ai fabriqué ce moule, pour contraindre le collage des bords et redresser le fond par la même occasion...
Le résulat, après 72 heures de séchage...
C'est tout ce qu'il reste de l'instrument, ces éclisses ne pourront malheureusement pas resservir et seront restituées à leur propriétaire, valeur sentimentale oblige !
Bien sûr, Francis et moi avons évoqué des points d'optimisation (tant qu'à faire), surtout sur le son. En effet, cette guitare, de par sa conception, est dite "manouche", mais lui et le jazz manouche, ça fait 2... (bien qu'il soit fan de Django, comme nous tous me semble-t-il). Nous avons parlé du fait que cette guitare puisse recevoir des cordes "bronze" ou des "argentine", j'ai donc repensé entièrement le barrage, pour qu'il supporte suffisament la pression d'un chevalet flottant, mais qu'il donne à la table cette complexité sonore typique des flat-tops traditionnelles... un double X donc, avec un radius de table de 15 pieds. (un poil plus qu'à l'origine)
Collage des barres au ciel d'ébéniste... les barres sont en épicéa torréfié, qui retrouve les propriétés mécaniques d'un bois scié il y a 50 ans, bien pratique ici !
Pendant la phase d'allégement...
Une fois la table collée, c'est l'heure de défoncer la gorge qui va recevoir le filet, en ébène. (contrairement au peuplier teinté d'origine, trop fragile)
Après le cintrage du filet, le collage.
A l'origine, il n'y avait pas de fileterie au dos, mais un simple liseret de peinture noire en guise de trompe l'oeil. tant qu'à faire, un filet fait l'affaire...
Mise à l'épaisseur des filets, au racloir...
CQuand j'ai voulu connaître le diapason d'origine de la guitare, quelle ne fut pas ma surprise... celle de voir une implantation quelque peu aléatoire des frettes !
Un rebouchage s'impose donc, sans toucher aux marques d'usure que Francis souhaite conserver...
Après sciage de la touche au diapason Gibson (le plus proche de celui d'origine), on voit bien l'inexactitude du travail précédent... Quand j'ai dit ça à Francis, il m'a quand même dit qu'il lui avait bien semblé que la guitare ne jouait pas toujours très juste, mais qu'il s'attribuait le problème à l'époque...
J'en ai aussi profité pour faire sauter la frette 0, typique des guitares manouches, au profit d'un sillet en os.
Ici, j'ai préparé un support de touche, et je réalise la défonce. En effet, le manche sera boulonné (comme toujours par ici) à la "Taylor", en 3 points donc. Ceci permettra d'intervenir dans quelques années si la guitare bouge beaucoup, sans incidence sur le son (quoi qu'en pensent certains...).
j'ai également dégauchi le manche (qui était bien concave), et adjoint 2 barres en fibre de carbone pour le stabiliser. J'ai évité le Truss-rod, pour ne pas trop modifier l'équilibre de l'instrument.
'acastillage a besoin d'être nettoyé, ça sera "laine d'acier 0000" et de l'huile de coude. Les mécaniques sont estampillées "Made in Japan" alors que le cordier reçoit un "Made in Germany"...
Une fois tout ça poncé et préparé, c'est l'heure du fond dur et de la mise en teinte. Francis se souvient que le manche était noir, à l'origine. Quant à la caisse, il m'a montré une vieille photo prise au moment où il a reçu cette guitare... mais elle est bien sûr en "noir et blanc"... En tout ça, on y devine une teinte claire, un peu jaune. Après discussion, nous partons sur un "miel-ambre" classique, chaud, un peu plus Gibsonnien qu'à l'origine, ce qui n'est pas pour lui déplaire !
La table a aussi reçu sa teinte, un peu plus claire que le reste de la caisse...
Et voici le résultat tant attendu... J'ai senti une émotion intense quand Francis a récupéré sa guitare, il m'a même parlé de "résurrection"... Sur le plan esthétique, il a été de suite sous le charme, quant à la sonorité, nous en sommes tous deux surpris, tant la guitare est équilibrée et projette.
Le dos...
Vue plongeante...
La table...
La tête...
Le chevalet d'origine a été perdu, j'ai donc choisi le palissandre, avec un sillet en os, pour enrichir d'avantage la sonorité, et permettre une intonation précise.
La touche, qui a gardé les traces d'usures réalisées il y a 50 ans...